Annonce du diagnostic : témoignage de Virginie et Giresse, parents de Gabriel
Témoignages de Virginie et Giresse
Virginie : Gabriel a eu deux ans le 16 août. Il va dans une crèche conventionnée et cela se passe très bien. Nous avons pu parler de son syndrome avec le personnel de la crèche, particulièrement avec sa référente. Elle s’implique énormément. C’est elle qui nous a alertés des retards de notre fils. Quand il a eu un an, elle s’est rendue compte que Gabriel n’évoluait pas comme les autres. Nous, à la maison, on dédramatisait, bercé par le vieil adage qui dit que chaque enfant évolue différemment, à son rythme : « si il ne s’assied pas, c’est qu’il préfère rester couché ! ». Nous avons quand même initié des démarches pour récolter les avis de plusieurs spécialistes.
Quelques temps plus tard, Gabriel ne se sentait pas bien. Pendant une semaine, il ne dormait plus, passait ses nuits à pleurer. Après 7 jours de crise, nous avons décidé de nous rendre aux urgences.
C’est à ce moment-là que tout commence.
Nous venions a priori pour un simple rhume. Nous avons quand même avons profité de notre présence sur place pour questionner le médecin sur le peu de motricité de notre enfant. Nous voulions un deuxième avis, nous l’avons reçu en pleine figure : « quoi ?!? Il a 15 mois et il ne s’assied pas encore ?!? » La pédiatre nous a regardé de travers : « ne me dites pas que vous laissez votre enfant dans cet état ». Gabriel était à l’époque suivi par un cardiologue, une kiné, un pédiatre et une psychomotricienne ; comment aurais-je pu suspecter quelque chose alors qu’aucun de ces professionnels n’avait jamais évoqué un potentiel problème ? « Ne pas tenir debout à son âge, c’est très grave » surenchérit la pédiatre des urgences. « Prenez rendez-vous avec ce neuropédiatre mais ne lui dites surtout pas que vous venez de ma part ; personnellement, je ne laisserais jamais un enfant dans cet état. »
Nous contactons donc le neuropédiatre et prenons rendez-vous. Il tombera trois mois plus tard. Trois mois pendant lesquels l’on a le temps de se persuader que quelque chose cloche car Gabriel n’évolue pas beaucoup. Nous avons entrepris d’importantes recherches sur le net qui nous ont menées sur la page de l’association du syndrome de Williams : faciès marqués et description du syndrome « collant » au cas de Gabriel – son amour pour la musique, sa sociabilité, le peu d’attachement qu’il nous manifestait ; nous avons pris peur. « On lit que les enfants porteurs du syndrome souffrent de problèmes d’alimentation et de sommeil. Gabriel ne connaît rien de tout ça, il ne peut pas être porteur du syndrome. » Nous avions toutes les cartes en main mais ne voulions pas le voir.
Annonce et black-out
Giresse : vient ensuite ce fameux jour de février, jour de l’annonce. Je suis seul au rendez-vous chez le neuropédiatre. Je commence alors à lui expliquer que Gabriel a 18 mois et qu’il ne rampe pas encore réellement, qu’il s’aide de ses coudes. Il le regarde, touche son visage et ses articulations, lit son carnet de santé et m’annonce brutalement « je crois que votre fils a le syndrome de Williams, j’en suis sûr à 99% ». C’est le black-out total pendant que je rhabille Gabriel. Je demande au neuropédiatre ce qu’il adviendra de mon fils dans le futur. Sa réponse fuse : « écoutez, je ne vais pas vous mentir ou essayer d’habiller les choses, j’ai eu trois cas par le passé qui sont maintenant adultes, aucun n’est autonome. Ils ont tous besoin de l’assistance de leurs parents ». À la fin, le neuropédiatre m’interpelle une dernière fois : « on se revoit quand j’ai le diagnostic final ; je vous rappelle, cela peut prendre jusqu’à deux mois ».
Je sors du cabinet, trouve ma voiture et y installe Gabriel. Il me sourit. Je me dis que « si ce que le docteur nous a dit est vrai, tu ne vas pas avoir une vie facile ». Je démarre la voiture et retourne à la maison. Je ne sais pas comment j’ai fait pour arriver à bon port. J’hésite à appeler Virginie, je me dis que je dois me reprendre avant de lui annoncer la nouvelle.
« Quand tu as fini, appelle-moi »
Virginie : Je termine de donner cours quand Giresse m’envoie ce sms : « quand tu as fini appelle-moi ». Je comprends que quelque chose ne va pas, les conclusions de la consultation ne doivent pas être positives. Je donne mes deux dernières heures de cours comme un fantôme en pensant constamment à ce que Giresse va m’annoncer. À la fin du cours, je l’appelle et il me dit « je ne sais pas si je peux te dire cela par téléphone ». J’insiste. « Il faut que tu rentres vite à la maison, le neuropédiatre m’a dit que Gaby avait peut-être le syndrome de Williams ». J’embarque dans le tram où je m’effondre. Après, c’est le trou noir. On n’a pas mangé ni dormi pendant quatre jours. On a continué à aller bosser. C’était infernal. Comment faire quand l’on a vécu une annonce si brutale, pour laquelle nous restons sans certitude, et qu’on a ensuite été lâché seuls dans la nature ? Qu’est-ce qu’on fait dans pareille situation ? Est-ce qu’on sombre sans se battre ?
Sortir la tête de l’eau
Nous avons décidé de ne pas sombrer. Nous avions repéré le bouton « nouveaux parents » sur le site internet de l’association du syndrome de Williams. Quand nous avons lu ce qui y était écrit cela nous a vraiment parlé, c’étaient les mots que l’on attendait. On a envoyé un e-mail expliquant notre situation. Quelques heures après, on avait une réponse : « ce que vous vivez est tout à fait normal, tous les parents d’enfants porteurs du syndrome sont passés par là ».
Marie-Jeanne (ndlr : Dambly, l’une des fondatrices du groupement d’inclusion sur le syndrome de Williams) nous a également confié un numéro que nous pouvions appeler en cas de besoin. Nous l’avons composé le soir même et sommes restés longtemps au téléphone. On s’est donné rendez-vous. Deux jours plus tard, Marie-Jeanne était chez nous. Elle a su dès qu’elle a posé les yeux sur Gabriel.
Elle savait que nous n’avions pas encore de diagnostic précis et a donc fait attention à ne parler qu’au conditionnel : « cela se pourrait, il a la petite bouille caractéristique ». Cette rencontre nous a bouleversés, remotivés, relevés… c’est dur à décrire… elle nous a donné tellement d’informations ! Et encore plus important, elle nous a donné les numéros d’autres parents d’enfants avec le syndrome de Williams. Nous les avons contactés et ça nous a fait beaucoup de bien de discuter avec eux, de nous rendre compte qu’il y a une vie après l’annonce du handicap. Nous nous sommes rendu compte par la suite qu’il y avait un monde entre les propos tenus par le neuropédiatre et ce que vivaient les familles qui sont venues vers nous pour nous soutenir. Toutes ces rencontres nous ont, avant tout, rassurés et apaisés.
Une attente qui n’en finit pas
Giresse : pour rapidement connaître les résultats du test génétique de Gaby, j’ai fait jouer mes relations – je travaille dans la recherche. J’ai contacté l’un des laborantins : « si tu vois passer les résultats de mon fils, tu me tiens informé ». Je l’ai ensuite régulièrement rappelé. Au début, il m’expliquait que le dossier n’était pas urgent et qu’il faudrait encore attendre. Et puis, un jour, le ton de sa voix a changé : hésitant, mal à l’aise, il m’a conseillé d’appeler le secrétariat. J’ai compris qu’il ne voulait pas prendre la responsabilité d’annoncer lui-même le diagnostic. Je lui ai dit que nous connaissions la situation, que nous étions préparés. Il a fini par me lâcher « ton médecin te donnera les résultats à son retour de vacances mais si Gabriel n’avait rien je t’aurais prévenu ».
Virginie : on a appelé le neuropédiatre à son retour de vacances. Pendant deux semaines, il est resté injoignable. J’étais en colère, j’avais en tête les avertissements des parents du groupement : « ne vous laissez jamais faire par le médecin. S’il y a quelque chose qui ne vous plaît pas n’hésitez pas à le remettre en place. Ne gardez pas ça pour vous, ne laissez pas la situation vous pourrir la vie alors que vous n’êtes pas responsables ». Au bout d’un moment, je me suis énervée sur sa secrétaire. Cela devenait ingérable, on savait que les résultats étaient sur son bureau et cela faisait deux mois et demi qu’on attendait qu’il nous fasse signe ! On avait l’impression d’être méprisés, que notre détresse était minimisée. Il m’a rappelée 3h plus tard pour fixer un rendez-vous le lendemain matin. Si on ne l’avait pas contacté, Dieu sait pendant combien de temps encore on aurait attendu…
Une consultation musclée
Giresse : on a payé 85 € pour « admirer » un neuropédiatre fier comme un paon d’avoir décelé le syndrome chez Gabriel.
Il nous a déblatéré des poncifs sur le syndrome. On l’a arrêté tout de suite. On lui a dit que nous n’avions pas besoin de soutien, que l’on avait déjà fait toutes les démarches après la suspicion. C’est alors qu’il a commencé à se justifier. Nous l’avons senti sur la défensive.
Virginie : je me demandais ce que j’allais bien pouvoir raconter à ce médecin. Il a quand même bouleversé nos vies et celles de nos familles pendant trois mois ! Qu’est-ce que je vais lui dire pour toute cette souffrance ? Il ne l’a peut-être pas fait volontairement, mais je dois lui faire comprendre. Quand je lui ai fait remarquer que parler d’un syndrome à de jeunes parents sans leur prodiguer de conseils, de pistes de réflexion ou de contacts n’était pas opportun, il s’est écrié « mais madame, vous ne vous rendez pas compte, il ne s’agissait pas d’un diagnostic ! Vous n’imaginez pas les dégâts psychologiques que je peux causer si je donne le numéro d’une association aux parents sans avoir reçu les résultats du test génétique ». Là, on a compris qu’aucun dialogue ne serait possible. Il n’est pas LE spécialiste qu’il prétend être et, surtout, il ne nous inspire plus aucune confiance. À ce stade de la conversation, on a su qu’on en resterait là.
On s’en est sorti parce qu’on a trouvé les bonnes personnes au bon moment. Elles nous ont ramenés vers notre petit garçon, si souriant, plein de joie de vivre. Gabriel va bien. Notre vie n’a pas changé après le diagnostic, uniquement notre perception des choses. Et les paroles de ce médecin résonnent encore parfois dans nos têtes. On ne lui en veut pas personnellement – qui sait ce qu’on aurait fait à sa place ? – mais ce n’est pas facile tous les jours.